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Il était ma liaison avec la jeunesse, avec la vie, les éditeurs, les journaux, les films. [...] Nous étions, un peu, son père. Roger Nimier est mort brutalement le soir du 28 septembre 1962, sur l'autoroute de l'Ouest. Après ce coup de massue, Paul Morand n'a plus que sa correspondance quotidienne avec Jacques Chardonne pour se consoler. Depuis dix ans, les deux épistoliers illustrent au plus haut un certain esprit français, avec ses travers comme ses traits de génie. Morand et Chardonne dominent toujours le siècle littéraire comme au balcon d'un théâtre : tandis que sur la scène disparaissent les amis Céline, Pierre Benoit et Cocteau, ressurgissent Proust, Claudel et Drieu la Rochelle. À l'orchestre, Mauriac, Jouhandeau ou Sartre reçoivent des boulettes de papier. Privé de son fils Nimier, Morand met alors en scène sa propre jeunesse dans des tableaux éblouissants : les riches heures 1900 ou les temps héroïques de la génération 1925. Ni la mort du hussard, son ancien protégé, ni celle de son fils Gérard ne troublent véritablement Jacques Chardonne. Le cœur blindé par le style, il est tout à l'éducation de son nouveau favori, Matthieu Galey, et couve Bernard Frank, François Nourissier et Michel Déon d'un regard de velours cachant le venin. En secret, Chardonne prépare une Histoire de l'édition qui doit l'occuper jusqu'à sa mort. De l'Écosse à Madère, Paul Morand, lui, poursuit ses voyages. Il vagabonde dans l'histoire et la politique, jouant aux prophéties avec Chardonne et trouvant dans le présent la confirmation de ses choix passés. Morand s'indigne de la construction du mur de Berlin, observe Gaulle devenu le Guide se dépêtrer de la guerre d'Algérie et de l'OAS, ou arbitre le duel entre Khrouchtchev et Kennedy avant la mort de ce dernier, qu'il trouve balzacienne. Chez Morand et Chardonne, la littérature, c'est beaucoup plus que la littérature.
Né à Paris le 13 mars 1888, Paul Morand commence en 1913 une carrière de diplomate qui le conduira aux quatre coins du monde. Révoqué après la seconde guerre mondiale, il est rétabli dans ses fonctions d'ambassadeur en 1953 et mis à la retraite des Affaires étrangères en 1955. Il est élu à l'Académie française en 1968 et décédé à Paris le 23 juillet 1976.