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La fonction première de l’État moderne est d’assurer la protection de ses citoyens : de les protéger les uns des autres et de les défendre contre les adversaires extérieurs. Pourtant, les violences à l’égard des populations civiles, les génocides, nettoyages ethniques ou massacres organisés sont pour l’essentiel perpétrés par des États et, dans une large mesure, contre leurs propres citoyens.Le présent essai montre que ces actes ne sont pas des accidents contingents, mais des événements inscrits dans la structure même de l’État. Par un saisissant retournement, ce dernier, ne pouvant plus faire de l’ennemi extérieur un bouc émissaire, s’est mis à multiplier les ennemis de l’intérieur. Cet affolement de la raison politique révèle l’échec de son mécanisme constitutif : le transfert de la violence vers des victimes acceptables. Ainsi l’ordre politique moderne, censé remplacer le sacrifice archaïque, repose sur une économie de la violence de même nature, mais beaucoup moins efficace. Les sacrifices à la nation, à la cause ouvrière ou à toute cause transcendant l’individu sont, eux aussi, devenus inutiles. La violence politique s’avère incapable de donner naissance à un ordre stable. Cette autodestruction du politique est l’un des signes les plus inquiétants de notre temps.
Paul Dumouchel enseigne la philosophie à l’université Ritsumeikan de Kyoto. Auteur de nombreux articles, il a également publié L’Enfer des choses (avec Jean-Pierre Dupuy, Seuil, 1979) et Émotions. Essai sur le corps et le social (Synthélabo, 1995).