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Jusqu'au XVIIe siècle, le corps féminin est pensé comme malade. Mais au XVIIIe la population joue un rôle crucial dans la prospérité de la nation. Qui dit nation dit origine, et donc génitrice unique : le tempérament féminin sain offre des corps ayant tous le même type, d'où la différence entre la France et ses colonies. Ensuite, la santé féminine offre des arguments pour l'égalité des femmes.
Elsa Dorlin est maître de conférences en philosophie à Paris-I. Ses travaux portent sur l'histoire de la médecine, les théories féministes et la production du racisme.
La race a une histoire, qui renvoie à l'histoire de la différence sexuelle. Au XVIIe siècle, les discours médicaux affligent le corps des femmes de mille maux : «suffocation de la matrice», «hystérie», «fureur utérine», etc. La conception du corps des femmes comme un corps malade justifie efficacement l'inégalité des sexes. Le sain et le malsain fonctionnent comme des catégories de pouvoir. Aux Amériques, les premiers naturalistes prennent alors modèle sur la différence sexuelle pour élaborer le concept de «race» : les indiens Caraïbes ou les esclaves déportés seraient des populations au tempérament pathogène, efféminé et faible.
Ce sont ces articulations entre le genre, la sexualité et la race, et leur rôle central dans la formation de la Nation française moderne qu'analyse Elsa Dorlin, au croisement de la philosophie politique, de l'histoire de la médecine et des études sur le genre. L'auteure montre comment on est passé de la définition d'un «tempérament de sexe» à celle d'un «tempérament de race». La Nation prend littéralement corps dans le modèle féminin de la «mère», blanche, saine et maternelle, opposée aux figures d'une féminité «dégénérée» - la sorcière, la vaporeuse, la vivandière hommasse, la nymphomane, la tribade et l'esclave africaine. Il apparaît ainsi que le sexe et la race participent d'une même matrice au moment où la Nation française s'engage dans l'esclavage et la colonisation.